Se battre comme une fille ? Les batailles les plus dures au Cameroun sont menées par des femmes et des filles
En période de crise, il est facile de perdre la vue d'ensemble. Une pandémie mondiale, comme celle à laquelle nous faisons face aujourd'hui, est un bon exemple de la manière dont notre réponse instinctive ne consiste qu’à se concentrer uniquement sur les aspects les plus clairement touchés : le système de santé d'une nation et son économie. Néanmoins, le COVID-19 peut sérieusement affecter d'autres domaines cruciaux de la vie, en particulier les questions de paix et de conflit.
Ceci est le quatrième article dans une série qui se concentre sur le rôle de la société civile dans le soutien des actions locales réagissant au COVID-19. Par le biais d'entretiens avec des intervenants de première ligne, nous discutons des effets à court et à long terme du COVID-19 sur les perspectives de paix et de stabilité dans leurs pays.
« Après avoir fui les exactions de Boko Haram, nous sommes venus nous réfugier ici. Nous avons vu comment les hommes armés sont entrés dans notre village la nuit. Ils ont incendié des maisons et nous avons commencé à courir. Tout d’un coup, nous nous sommes fait arrêtées, brutalisées et menacées de mort. Nous avons été violées par plusieurs personnes à la fois. A présent, je veux juste mourir. Je me sens comme un cadavre ambulant. Je fus rejetée par mon mari et ma famille. Je suis déjà morte dans mon corps et c’est un autre regard que la société porte sur moi depuis que cela s’est passé. J’ai voulu me suicider, mais je me suis dit qu’il faut que je raconte cette souffrance à quelqu’un. Ca permettra qu’on se souvienne de moi après ma mort et qu’on puisse développer des stratégies pour que d’autres ne devrons plus subir cette honteuse épreuve dans leurs vies. »
Témoignage anonyme d'une survivante de la violence basée sur le genre au Cameroun, partagé avec l'Association Rayons de Soleil par l'organisation partenaire ALDEPA, août 2018d violence survivor from Cameroon shared with Association Rayons de Soleil by partner organisation ALDEPA, August 2018
Le Cameroun est une société fortement patriarcale, qui traite les femmes et les filles comme inférieures aux hommes dans la vie quotidienne. Le dernier indice d'inégalité entre les sexes du PNUD classe le Cameroun à la 150e place sur un total de 189 pays classés. Cette position dans le classement est inférieur de neuf places à celle de l'année précédente, ce qui montre à quel point la situation des femmes et des filles est en train de se dégrader.
Fidèle Djebba, présidente de l'Association Rayons de Soleil, et membre de la CSPPS au Cameroun, a fondé son organisation, qui œuvre pour l'émancipation des femmes et des filles, en 2006. Son objectif initial était de soutenir les jeunes filles vulnérables qui sont confrontées à une myriade de problèmes communs au Cameroun et qui les empêchent de se développer sur un pied d'égalité avec leurs homologues masculins ou de devenir indépendantes. Elle s'est concentrée sur des problèmes tels que le mariage des enfants, le manque d'accès à l'éducation ou les filles qui n'ont pas obtenu de certificat de naissance et qui n'ont donc jamais eu d'identité officielle. Cependant, à mesure que le travail de son organisation progressait, ils se sont davantage impliqués dans les questions de sécurité de l’Extrême-Nord, où le groupe djihadiste Boko Haram terrorise les communautés locales, ainsi que d'autres zones de conflit critiques.
Pour le sixième article de cette série (pour en savoir plus, cliquez ici), le secrétariat de la CSPPS eu une conversation précieuse avec Djebba, pour laquelle elle a gentiment économisé sa batterie car elle n'avait pas eu d'électricité pendant les quatre jours précédant l'interview. Un désagrément – pour le moins – qui est loin d'être inhabituel au Cameroun. Au fil de notre conversation, l'omniprésence de l'inégalité entre les sexes au sein de la société camerounaise est devenue cruellement apparente, ainsi que la manière dont le COVID-19 amplifie l'écart entre les femmes et les hommes.
Selon un rapport sur l'égalité des sexes au Cameroun, établi par le Gender Standby Capacity Project, la moitié de la population féminine vit en dessous du seuil de pauvreté, alors que seulement un quart des hommes vivent dans ces conditions. Cette inégalité se reflète également dans la propriété des biens : seules 3 % des Camerounaises possèdent une maison. En termes d'éducation, les garçons ont généralement un meilleur accès, ce qui leur donne par la suite de meilleures perspectives d'indépendance économique et sociale. En outre, les grossesses d'adolescentes sont également préoccupantes : 10 % des filles de 15 à 19 ans ont déjà accouché au Cameroun.
Bien qu'ils soient déjà particulièrement vulnérables, les adolescents sont désormais confrontés à des risques encore plus grands de se marier avant l'âge de 18 ans. Avant la pandémie, un tiers des jeunes camerounaises de moins de 18 ans étaient contraintes de se marier, les régions touchées par les conflits affichant systématiquement des taux de mariage d'enfants plus élevés que les régions plus stables. En raison de la pandémie, les parents risquent davantage de forcer leurs filles à se marier afin de garantir leur position dans une société de plus en plus instable et de réduire leurs propres coûts en ayant tout simplement moins de bouches à nourrir.
Néanmoins, même si le mariage est perçu comme un moyen d'assurer la subsistance d'une fille ou d'une femme ainsi que sa position dans la société, la violence sexuelle au sein de la sphère domestique est une autre menace pour leur sécurité. Au Cameroun, 20 % des femmes furent forcées lors de leur première expérience sexuelle. Au total, 56 % des femmes mariées ont subi des violences sexuelles, que ce soit dans leur propre foyer ou par d'autres personnes dans la société. La violence domestique n'est pas punie par la loi, et le viol conjugal constitue donc un risque majeur pour les femmes au Cameroun. En raison du conflit croissant, tant dans l'Extrême-Nord qu'en ce qui concerne la guerre civile camerounaise, la violence sexuelle est en augmentation.
Menacées par des groupes armés, des militaires, des membres de leur propre famille, des dirigeants communautaires ou des membres de la société en général, les femmes et les jeunes filles sont confrontées quotidiennement à la réalité de la violence sexuelle. Cependant, les hommes et les garçons sont parfois soumis à ces mêmes horreurs. Sur l'ensemble des cas de violence sexuelle signalés, 11 % des victimes sont des hommes. Tout comme le viol conjugal, le viol entre hommes n'est pas puni par la loi. Par conséquent, les survivants de l'un ou l'autre de ces crimes sont à tout moment laissés sans protection par la loi. Pour l'instant, en attendant que le Cameroun modifie son code pénal pour la protection des personnes non-protégées, la seule façon de poursuivre légalement ces crimes est de faire appel sur la base de « l'homosexualité forcée » dans le cas des hommes, ou sur la base du mariage forcé pour les femmes.
Empilez une crise comme le COVID-19 sur un pays déjà fortement touché par une guerre civile en cours, ainsi que par la présence mortelle de Boko Haram dans l'Extrême-Nord, et ça constitute la recette du désastre. Malheureusement, comme toujours, ce sont les femmes et les filles qui paient le plus lourd tribut.
« Bien qu'il existe des milliers d'organisations de femmes dans l'Extrême-Nord du Cameroun, moins de dix d'entre elles travaillent pour la cause du développement à long terme. Les femmes s'entraident au Cameroun, mais souvent à une échelle plus réduite. Ces groupes se réunissent une fois par mois et collectent de l'argent pour les membres qui souffrent le plus. Mais la vision d'ensemble, celle du développement durable et de l'égalité des sexes, est un pas de trop pour elles. Non pas parce qu'ils ne le veulent pas, mais parce qu'il s'agit d'un autre niveau, inaccessible pour eux dans leur situation déjà pénible. C'est pourquoi nous faisons ce que nous faisons. Nous faisons pression pour l'égalité des sexes au niveau national, là où d'autres ne le peuvent pas. »
Le Cameroun, tout comme tous les pays dont il est question dans cette série, est confronté à de nombreuses menaces pour sa stabilité nationale et son développement durable, notamment en termes de paix et de conflit. Et malgré les preuves de la contribution essentielle des femmes aux processus de paix dans le passé, les femmes restent gravement sous-représentées à la table des négociations. Selon les recherches, la participation des femmes au processus de paix rend un accord de paix 64% moins susceptible d'échouer. En outre, lorsque les femmes sont incluses dans le processus de paix, l'accord qui en résulte a 35 % plus de chances de durer au moins 15 ans. Pourtant, entre 1992 et 2018, les femmes ne représentaient que 3 % des médiateurs, 4 % des signataires et 13 % des négociateurs dans les principaux processus de paix.
L'inégalité entre les sexes au Cameroun n'entraîne donc pas seulement des problèmes concernant la position des femmes et des filles dans la société ou la sphère domestique, ou en termes de violence sexiste due au conflit en cours. L'exclusion des femmes aux postes de décision affecte également les perspectives de paix pour l'ensemble du pays.
Depuis 2017, les séparatistes des régions anglophones du sud du Cameroun s'affrontent aux forces gouvernementales, ce qui constitue la guerre civile camerounaise ou, sous un autre nom, la crise anglophone. Ce conflit aurait fait plus de 3 000 morts et déplacé un demi-million de personnes à l'intérieur du Cameroun. En outre, 40 000 camerounais ont fui vers le Nigeria avoisinant, tandis que plus de 855 000 enfants ne reçoivent pas leur éducation en raison du conflit. La guerre a laissé une personne sur trois dans la région anglophone dépendante de l'aide humanitaire, ce qui les rend d'autant plus vulnérables au COVID-19. Dans ce conflit également, les femmes sont touchées de manière disproportionnée.
La région de l'Extrême-Nord, où opère Boko Haram, est une toute autre histoire. Le groupe djihadiste, qui est originaire du Nigeria adjacent, utilisait auparavant la région principalement comme porte d'entrée pour le trafic d'armes vers le Nigeria. Mais le groupe a intensifié son insurrection sous le nouveau chef Abubakar Shekau et a commencé à pénétrer et à étendre ses attaques armées au Cameroun en 2014, après que les dirigeants de la France et de plusieurs pays africains, dont le Cameroun, aient annoncé lors d'un sommet à Paris qu'ils intensifieraient leurs opérations anti-insurrectionnelles contre Boko Haram.
Cela a fait du Cameroun le deuxième pays le plus ciblé en termes d'attaques dans le bassin du lac Tchad, et les tensions se sont accrues, entraînant un affrontement de plein front entre Boko Haram et les forces armées conjointes du Cameroun, du Tchad et du Nigeria. Depuis que ces dernières ont triomphé dans cet affrontement, les attaques de Boko Haram ont été moins fortes mais plus fréquentes : les attentats suicides, les enlèvements et les assassinats ne sont pas rares dans l'Extrême-Nord du Cameroun, qui est aussi la région la plus pauvre du pays.
Comme les femmes et les filles ne sont pas immédiatement perçues comme des menaces, Boko Haram les utilise pour contourner les forces gouvernementales et fonctionner comme messagères, contrebandières, espionnes ou recruteuses. De nos jours, les auteurs d'attentats suicides sont souvent des femmes et des jeunes filles, pour cette même raison. Des jeunes filles de 10 ans à peine sont entraînées pour être envoyées dans des endroits bondés afin d'infliger le plus grand nombre de victimes possible dans des attentats suicides.
Djebba explique que c'est la pauvreté, et non la conviction idéologique, qui est la plus souvent la raison pour laquelle les jeunes garçons et filles sont recrutés dans le groupe djihadiste. Ils reçoivent une rémunération modeste mais significative pour leur adhésion – c'est-à-dire, lorsqu'ils s'engagent volontairement au lieu de se faire enlever alors qu'ils ramassent du bois ou travaillent dans les champs, vu que l'enlèvement est un moyen important par lequel Boko Haram remplit ses rangs.
« J’avais à peine 13 ans lorsqu’un jour mon père est rentré d’un voyage accompagné d’un monsieur pour m’épouser. J’ai refusé et mon père est réparti avec lui. Une semaine plus tard, un groupe de personnes est arrivé chez nous dans la nuit et ils m’ont emporté et nous avons marché toute la nuit jusque dans une forêt. Au petit matin mon père et mon petit frère disparu depuis quelques semaines sont arrivés où j’étais détenue. J’ai couru pour me cacher derrière mon père mais il a refusé en m’instruisant de m’asseoir auprès de son ami qu’il avait amené pour m’épouser. Je n’ai plus jamais revu mon père et mon frère depuis ce jour. J’ai été mariée 3 fois d’un homme à un autre et au 3e mari qui est aussi mort, je fus déclarée malchanceuse et devait mourir pour suivre mes maris. C’est par miracle que j’ai pu m’échapper et que je vis aujourd’hui. J’ai souffert de beaucoup d’autres choses, et je continue même à souffrir. »
Anonymous testimony from a gender-based violence survivor from Cameroon shared with Association Rayons de Soleil by partner organisation ALDEPA, August 2018
La crise du COVID-19, qui empêche des familles entières de gagner leur paie quotidien dans le secteur informel, amplifie leur désespoir. Djebba explique que plus de 70 % de la population dépend des revenus quotidiens du secteur informel pour subsister. La situation actuelle suscite la peur au sein de la communauté, d'autant plus que les femmes et les jeunes filles peuvent être recrutées, enlevées ou forcées à se prostituer, soit par leur famille, soit par désespoir.
« Si les femmes et les filles n'étaient pas déjà suffisamment vulnérables, le COVID-19 aggrave la situation. Et nous, à l'Association Rayons de Soleil, nous craignons que tous les progrès réalisés jusqu'à présent par les organisations de la société civile ainsi que par le gouvernement ne soient perdus à cause de cela. L'impact sera à long terme. Et nous devons anticiper ces effets à long terme. »
En plus de son travail avec les communautés locales et d'autres organisations de la société civile, l'Association Rayons de Soleil conseille le ministère de la jeunesse sur sa politique nationale. « Dans la lutte contre l'extrémisme violent, nous devons engager la jeunesse camerounaise », souligne Djebba. « Dans tout le pays, nous avons engagé plusieurs jeunes ambassadeurs qui travaillent contre l'extrémisme violent et la radicalisation, et pour une paix durable. Nous les impliquons également dans le processus de paix, de la base vers le sommet, car c'est la seule façon d'empêcher que ces choses ne se reproduisent à l'avenir. » L'étude indépendante mandatée par les Nations unies sur les progrès réalisés à propos des jeunes, la paix et la sécurité, publiée en 2018, indique que les 1,8 milliard de jeunes du monde entier, qui sont pour la plupart exclus des processus de consolidation de la paix et de développement, sont extrêmement importants pour assurer de la stabilité et de la paix durable de par le monde.
En ce qui concerne la violence sexiste et l'inégalité des sexes, notamment lors de la crise du COVID-19, Djebba explique comment un nombre encore plus important de jeunes filles et de femmes, en particulier celles qui ont été déplacées en raison de la crise anglophone, sont aujourd'hui contraintes de se prostituer. Dans leur désespoir, vendre leur corps pour de l'argent est leur seule solution. « Les femmes et les jeunes filles qui travaillent dans le secteur informel en tant que propriétaires de petites entreprises luttent maintenant pour gagner leur vie pendant la pandémie. Elles n'ont pas beaucoup d'autres options pour subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille », déclare Mme Djebba. Il est clair que la situation dans laquelle se trouvent les femmes et les filles ne fait que s'aggraver en raison de la pandémie.
« C’était une nuit de 2015 (…) Un groupe de dix hommes dont six d’entre eux étaient armés est entré dans notre maison. Ils ont commencé à prendre nos biens. Ils nous ont emmenés dehors et nous ont forcé à les suivre en brousse. Arrivés à l’endroit où ils campaient, ils nous ont attribué des maris et celles qui ne voulaient pas étaient enfermées dans une sorte de cage. Par la suite, ils nous ont obligés à nous islamiser et celles qui refusaient étaient menacées de mort. Un des leurs qui m’avait choisie comme épouse m’a gardée dans la brousse pendant sept mois, période pendant laquelle il m’a violée à chaque fois qu’il en avait envie. Une nuit alors qu’ils étaient partis dans un autre village, nous avons pu nous échapper et revenir jusqu’ici. La vie n’a pas été facile et nous avons soufferts de famine et de toute sorte de souffrance. »
Témoignage anonyme d'une survivante de la violence sexiste au Cameroun, partagé avec l'Association Rayons de Soleil par l'organisation partenaire ALDEPA, août 2018
Dans un sondage que l'Association Rayons de Soleil a mené auprès de 200 femmes au cours des dernières semaines, 60% des personnes interrogées ont indiqué que leur relation avec leur partenaire était devenue plus difficile en raison des mesures prises contre le COVID-19. Bien que la violence domestique reste un tabou au Cameroun, beaucoup ont indiqué que leur partenaire est devenu plus frustré, et donc plus agressif, physiquement comme mentalement.
La perte d'emploi et de revenu due au COVID-19 a entraîné une frustration accrue chez les hommes, dont beaucoup ont indiqué qu'ils se sentaient incapables, voire émasculés, car ils ne peuvent plus remplir leur rôle culturel de principal soutien de famille. D'autre part, les hommes n'aident pas les femmes dans les travaux ménagers, même si ces responsabilités sont devenues plus lourdes depuis que les enfants ne vont plus à l'école, car les travaux ménagers ne sont culturellement pas perçus comme des tâches masculines. Les femmes sont donc chargées à la fois de s'occuper du foyer et de générer les revenus de la famille.
Au sein de la crise du COVID-19 et des nombreuses facettes du conflit dans une société patriarcale, les femmes et les filles sont touchées de manière disproportionnée. Dans des circonstances normales, elles dépendent déjà de ressources et de biens contrôlés par les hommes, et ont systématiquement moins de pouvoir de décision dans la sphère domestique, dans la société au sens large et au sein du gouvernement. Dans un Cameroun strictement patriarcal, la religion et la culture dictent les rôles et le statut que les femmes peuvent – mais surtout ne peuvent pas – assumer.
La séparation des femmes et des hommes adultes dans de nombreuses coutumes quotidiennes est loin d'être inhabituelle, non seulement au Cameroun, mais aussi dans de nombreuses sociétés patriarcales, ce qui ne fait que perpétuer le sentiment d'inégalité entre les sexes qui a été inculqué. Les violences sexuelles et sexistes sont les symptômes les plus horribles de ce fossé entre les femmes et les hommes, et ce d'autant plus que le pays est en proie à un conflit. Cependant, l'exclusion des femmes dans les processus de consolidation de la paix et de construction de l'État entrave également leur contribution à une paix durable, malgré leur efficacité avérée.
« En octobre dernier, nous avons formé 44 volontaires pour leur permettre d'apporter un soutien psychosocial à leurs communautés ainsi que des ateliers et des actions de sensibilisation à l'égalité des sexes, mais maintenant aussi à propos du COVID-19. Ces volontaires sont bien équipés pour mener des activités locales, y compris dans des zones que nous ne pouvons pas atteindre nous-mêmes en ce moment à cause de la pandémie", déclare Djebba. "Ces personnes sont dans leurs propres communautés, y compris dans les villages de la région de l'Extrême-Nord. Ils font campagne et informent leurs communautés depuis deux mois, tout en distribuant des masques et du désinfectant pour les mains, avec l'aide de donateurs locaux. Heureusement, notre travail continue de porter ses fruits grâce à eux, car ils peuvent poursuivre ce que nous avons commencé. Mais oui, nos activités en tant qu'organisation de la société civile sont touchées, à cause du COVID-19. Mais nous faisons ce que nous pouvons. Comme toujours. »
Des organisations comme l'Association Rayons de Soleil de Djebba continuent d'œuvrer, dans les limites imposes sur leurs déplacements, leurs rassemblements et même sur leur accès à l'électricité, pour un Cameroun plus égalitaire et plus pacifique. Pourtant, le COVID-19 fait reculer le pays de façon considérable et les moyens d'améliorer la situation au milieu de ce chaos sont peu nombreux.
Après tout, dans une situation comme celle de la population féminine du Cameroun, quelle est la meilleure option pour les plus vulnérables d'entre elles ? Pour certaines, il s'agit de choisir entre le moindre des deux maux : soit être torturées, menacées et violées quotidiennement par Boko Haram, soit échapper à la mort par suicide, dans le cadre d'un de leurs attentats terroristes. Un autre dilemme auquel certaines femmes sont confrontées est le choix entre voir leur famille souffrir de la faim et de la frustration car leur revenu quotidien a disparu à cause de la pandémie, ou se prostituer pour pouvoir subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs proches. Les situations de conflit, exacerbées par le COVID-19, confrontent les personnes les plus vulnérables du monde entier à des choix impossibles à faire.
Ces dilemmes se produisent et s'imposent au quotidien. Au Cameroun, mais aussi dans de nombreux autres pays du monde. Pourquoi les femmes et les jeunes filles continuent-elles à porter le poids de toutes les crises auxquelles l'humanité est confrontée ? Qu'il s'agisse d'une guerre, d'une pandémie ou "simplement" du patriarcat, les femmes et les filles finissent presque toujours par payer le plus lourd tribut.
Lors du débat ouvert de l'année dernière sur les femmes, la paix et la sécurité au sein du Conseil de sécurité des Nations unies, le secrétaire général António Guterres a déclaré : « L’Agenda Femmes, paix et sécurité est clairement l'une des principales priorités des Nations unies. Nous le constatons dans l'adoption d'un grand nombre de résolutions par le Conseil de sécurité, notamment la résolution 1325 et ses nombreuses décisions de suivi. […] Avec un tel soutien et une telle compréhension commune, nous pourrions pardonner à un observateur de penser que les choses s'améliorent considérablement. Mais la triste réalité est – et nous devons être francs à ce sujet – que l'engagement qui se reflète toujours autour de cette table ne se traduit pas au changement réel dans le monde. Il n'arrive pas assez vite ni assez loin. Le changement arrive à un rythme trop lent pour les femmes et les filles dont la vie en dépend et pour l'efficacité de nos efforts pour maintenir la paix et la sécurité internationale. »
Tout au long de cette série d'articles, nous avons examiné l'impact du COVID-19 sur les nations les plus vulnérables du monde. Dans la lutte contre cette pandémie mondiale, en particulier dans les milieux fragiles et touchés par des conflits, nous ne pouvons pas oublier les plus vulnérables : les femmes et les filles. Selon l'UNICEF, 650 millions de femmes et de filles vivant aujourd'hui ont été mariées dans leur enfance, ce qui entrave souvent leurs chances de recevoir une éducation et les rend plus susceptibles de subir des violences domestiques. Le préambule de la constitution camerounaise consacre l'égalité des sexes à plusieurs égards, mais les dimensions patriarcales de la culture, des conflits et de la société continuent d'entraver les chances des femmes et des filles d'accéder à une position égale au sein de leur société, sur les plans sexuel, social et économique. Le changement est à venir, verbalement, mais où sont les actions ? Quand est-ce que nous commencerons de protéger ceux qui ont le plus besoin de notre protection, en paroles et en actes ?
La CSPPS réitère l'importance d'une riposte au COVID-19 qui tienne compte de l'ensemble de la société et des conflits, afin de protéger tous ceux qui sont vulnérables. En particulier les femmes et les filles. Nous pensons que l'inclusion des femmes et des jeunes dans le processus de consolidation de la paix et de construction de l'État améliorera de manière critique la perspective d'une paix véritablement durable dans le monde. L'autonomisation des femmes et des jeunes permettra à chacun de s'épanouir et dotera le monde de toutes les capacités qui sont actuellement déjà présentes, mais non encore exploitées. Nous saluons et continuons à soutenir le travail accompli par notre membre, Association Rayons de Soleil, au Cameroun, ainsi que celui de nombreuses autres organisations et institutions de la société civile dans le monde entier, et nous appelons chacun à s'engager activement dans la plus dure des batailles pour un monde égal et pacifique. Se battre comme une fille ? Peut-être nous le devrions tous.
Article par Charlotte de Harder - CSPPS