Haiti front pic

La non-assistance à nation en difficulté, une complicité tacite

Fondation IDEO, Haïti

La Plate-forme de la société civile pour la consolidation de la paix et le renforcement de l'État (CSPPS) publie, en collaboration directe avec ses membres, une nouvelle série d'articles sur le travail de ses membres. 

Curieux d'en savoir plus sur nos collègues en Haïti ? Cette semaine, nous avons échangé avec Roseline Benjamin, Marie-Marguerite B. Clérié et Frédérique Clermont, natives et résidentes en Haïti. Elles nous ont parlé de la situation actuelle dans le pays, de leur motivation personnelle à y rester et à œuvrer pour la restauration de sa paix, et d'un grand projet de l’IDEO sur l'engagement des étudiants et des professeurs dans les écoles.

D'où vous vient votre détermination à rester vivre en Haïti malgré le contexte particulièrement difficile et à vous engager pour la restauration de sa paix ?

 

Marie-Marguerite B. Clérié : “J’ai passé toute mon enfance sous la dictature sanguinaire des Duvalier et après la disparition forcée de mon père, l’injustice sous toutes ses formes m’était devenue insupportable. Très jeune, j’ai dès lors décidé, qu’une fois adulte, je travaillerai à dénoncer toutes les formes d’injustice. Une fois mes études de psychopédagogie terminées, je n’avais qu’une seule idée en tête : retourner dans mon pays et me mettre au travail pour participer à un changement de mentalité et au développement d’une société plus juste et plus harmonieuse. La tâche est encore ardue mais je garde espoir en des lendemains meilleurs dans une Haïti guérie et pacifiée.”

Frédérique Clermont : “J'ai été témoin et j’ai personnellement vécu des événements très pénibles dans mon enfance. J’ai compris  qu’il ne sert  à rien de s’apitoyer sur son histoire ou de se culpabiliser, mais qu’il faut de préférence continuer à rêver ensemble d’une Haïti nouvelle et à travailler pour la réalisation de notre mission de vie. Pour nous permettre de venir à bout du cynisme actuel dans le pays, il est évident qu’un éveil de la conscience est essentiel. C’est pour cette raison que nous travaillons à transmettre les valeurs qui nous animent à toute la population.  Mon pays, Haïti, c’est un paradis comme dit MIKABEN dans sa chanson, je veux lui donner raison! Nous avons la responsabilité de propager les valeurs de générosité, d’empathie  et d’amour autour de nous et plus encore dans le monde entier. Même si ça peut paraître idéaliste, il faut continuer à avancer sur ce chemin.”

Roseline Benjamin : “Comme mes collègues, j’ai vécu sous la dictature des Duvalier,  et le 26 avril 1963,  jour sombre pour une grande partie de la population haïtienne, j’ai vécu la première grande épreuve de ma vie: âgée alors de 16 ans, mon père a reçu une balle tirée par les sbires de Duvalier, ce qui a plongé ma famille dans une grande difficulté.  Il a soigné jusqu’au dernier jour de sa vie une plaie à la jambe et a été le seul survivant de cette journée atroce. Depuis, je n’ai jamais arrêté de chercher les réponses à ces importantes questions: pourquoi tant de souffrances dans mon pays, pourquoi ces crises répétées? Comment guérir de toutes ces blessures? Ces réflexions m’ont  portée à étudier la psychologie, à faire des recherches en philosophie, en spiritualité et à devenir aujourd’hui un Agent pour la Paix. Bientôt cinquante ans que j’œuvre à accompagner des personnes et des communautés en difficulté, sans jamais perdre l’espoir qu’Haïti connaîtra un jour  la paix, qu’elle redeviendra La Perle des Antilles.” 

 

Aperçu de leurs engagements

 

En collaboration avec la fondation PSA (Projet Saint Anne) à Camp Perrin dans le sud d'Haïti, la fondation Ti Souf à travers Roseline et Mélodie Benjamin a animé deux ateliers destinés respectivement à un groupe d'enfants supportés par la PSA et leurs parents, sur le thème suivant: "S'aimer, aimer sa communauté, aimer son pays".

 

Dans le contexte de cette situation difficile, le système scolaire est le secteur qui subit les plus graves contrecoups. C’est ainsi Roseline qui nous présente le projet de la Fondation IDEO en faveur d’un renouvellement de l’enseignement au sein du pays. Elle nous parle de ce projet comme d’un projet à la fois passé, présent et futur pour lequel un véritable programme de formation des enseignants a été créé, un programme ayant déjà fait ses preuves et dont les résultats ont même largement dépassé les espérances selon les mots de Marie-Marguerite. Le but est véritablement d'éduquer la jeunesse haïtienne, de la reconnecter avec son devoir de citoyenneté pour rebâtir le pays à cette image. 

Roseline Benjamin : “En 1992, il y a trente-deux ans, avec des amis et d’autres professionnels, dont Frédérique et Marie-Marguerite, j’ai fondé IDEO. Après trois décennies de travail et de belles expériences, nous avons pu aboutir, en août 2023, au lancement d’un nouveau programme intitulé « Pour une Culture de l’Amour et de la Paix dans les Familles, les Écoles et les Communautés Haïtiennes ». Face aux situations de violences qui sévissent en Haïti, nous avons pris conscience de  l’importance de mettre sur pied, et de toute urgence, des programmes d’éducation pour la paix. Cette démarche s’est dans un premier temps adressée spécialement à un groupe de 25 écoles et de 334 directrices/directeurs de ces établissements. Les réactions des participants, les résultats obtenus par rapport à leurs prises de conscience et leurs changements de comportement d’une semaine à l’autre ont largement dépassé nos espérances. Notre but actuellement est non seulement d’étendre cette expérience à l’ensemble du système éducatif, mais aussi de le faire bénéficier à l’ensemble de la population. C’est pourquoi un des projets les plus urgents de la Fondation IDEO pour lequel nous recherchons des fonds, est de former une quarantaine de nouveaux Agents Pour la Paix afin de toucher une majorité de la population, y compris les communautés et quartiers fragilisés. En effet, depuis quelques années, voire quelques décennies, la population haïtienne vit des moments dramatiques et la situation de grave insécurité ne fait qu’empirer. Seul un enseignement avec une liberté émotionnelle, spirituelle et financière permettra d’installer la paix en Haïti et de trouver des solutions durables aux problèmes que ce pays traverse.”

Marie-Marguerite, approuvée par ses collègues, nous a confié entrevoir une lueur d’espoir pour les jeunes dans ce sombre environnement. Elle constate effectivement depuis quelques jours une certaine reprise du système éducatif et s’affirme convaincue que, d’ici la prochaine rentrée académique, la majorité des écoles pourront ouvrir leurs portes. Elle se réjouit du fait que les élèves des écoles bénéficiaires du  programme de formation seront accueillis par des professeurs motivés et formés à répondre correctement aux besoins d’apprentissage de leurs élèves.

 

La fondation Tisouf a amené un grand groupe d'artistes de la scène musicale haïtienne à Limonade, dans le Nord d'Haïti, pour planter des arbres en l'honneur de Mikaben dans le cadre du premier anniversaire de son décès.
 

“J’aurais souhaité, vraiment de tout mon coeur, que l'aide internationale aux pays défavorisés, et particulièrement à mon pays Haïti, soit plus humaine. Que l’aide soit plus directement donnée là où les résultats contribuent à améliorer vraiment le quotidien des  populations. C’est un cri du cœur.” - Marie-Marguerite B. Clérié

 

Finalement, bien que ce programme que le Fondation IDEO soit couronné de succès pour le moment, ses membres nous ont dit être conscientes que, pour le perpétuer et renforcer son action, de même que pour mettre en place d’autres projets similaires dont l'utilité est vitale en Haïti, elles ont besoin de plus de soutien de la part de toutes parties prenantes possibles, et en particulier de la communauté internationale. Cependant, c’est avec une colère non dissimulée qu’elles dénoncent le manque de solidarité de cette même communauté internationale malgré la situation particulièrement dramatique du pays. 

Ainsi, elles souhaitent à travers cet article tiré la sonnette d’alarme, attirer l’attention du monde sur ce que vivent les haïtiens, toutes couches sociales confondues, en mettant l’accent particulièrement sur la souffrance de la population évoluant dans un système éducatif pris en otage: diminution considérable de l’effectif des élèves dans les classes due au déplacement des familles et des professeurs hors de la capitale, ou même hors du pays, et stress énorme nuisant à la capacité d’apprentissage des jeunes pour ne dire que cela.

Elles appellent avec insistance à une plus grande solidarité de la part de la communauté internationale, à des actions plus réfléchies et communes venant d’elle, à un soutien pour le travail qu’elles réalisent dans les familles, les écoles et les communautés en Haïti à travers la formation d’Artisans pour la Paix. Elles appellent enfin à la guérison de leur pays et à l’arrêt des trafics d’armes qui perpétuent la violence.

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