De nouveaux espoirs au Liberia
"Voix locales à la croisée des chemins" est une série d'articles dans laquelle les acteurs locaux, œuvrant pour la paix quotidienne, partagent leurs points de vue sur les fragilités et la résilience de leurs sociétés face aux conflits. Ces sociétés sont à la croisée des chemins entre les réalités locales et les politiques et pratiques nationales de consolidation de la paix. Cette série vise donc à accélérer l'action au niveau local en renforçant les voix de la société civile au niveau politique. "Voix locales à la croisée des chemins” est hébergé par la Plateforme de la Société Civile pour la Consolidation de la Paix et le renforcement de l'État (CSPPS) et est le fruit d'une collaboration avec le Programme de Recherche sur les Règlements Politiques (PSRP), basé à l’Université d’Édimbourg.
Dans ce nouvel article de la série "Voix locales à la croisée des chemins", nous nous concentrons sur le travail de la Platform for Dialogue and Peace (P4DP), organisation de point focal de la CSPPS au Liberia, et sur ses efforts pour découvrir les pratiques culturelles qui portent atteinte aux droits des femmes et des filles au Liberia.
La Platform for Dialogue and Peace (P4DP) est une organisation non-gouvernementale qui se consacre à la recherche et à la consolidation de la paix au Liberia en utilisant des activités d’action participative fondées sur une approche empirique. Elle vise à identifier les besoins et défis des communautés et à apporter des solutions durables, dans le but principal de promouvoir des sociétés sûres et inclusives. La P4DP est représentée par James Suah Shilue, directeur exécutif de la P4DP. Dans cette nouvelle contribution de "Voix locales à la croisée des chemins", James a partagé le travail considérable de la P4DP qui vise à dépeindre les violations des droits des femmes ainsi qu’à promouvoir leur autonomisation.
Le contexte liberien
Les quatorze années de guerre civile au Liberia ont été dévastatrices, affectant l’ensemble de la société. Les groupes marginalisés, en particulier, ont été durement touchés, et de nombreuses femmes et filles ont gardé des cicatrices qui continuent de les affecter physiquement et émotionnellement.
Bien que des progrès remarquables aient été accomplis pour faire avancer l’agenda “Femmes, paix et sécurité” (WPS) depuis l'adoption de la résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations unies en 2000, la violence contre les femmes et les filles au Liberia reste la forme d’abus la plus répandue. Cette violence touche un tiers de toutes les femmes au cours de leur vie. La violence sexuelle et sexiste (SGBV) reste une préoccupation croissante malgré plusieurs efforts du gouvernement et de ses partenaires de développement, des leaders d’opinion et des acteurs religieux et communautaires pour atténuer ses effets.
Cependant, les statistiques du Liberia d’après-guerre suggèrent que les périodes de paix ont également des répercussions sur les femmes. Pour la plupart des femmes, la fin de la guerre et des conflits est marquée par les effets des inégalités socio-économiques et des normes négatives liées au genre. Celles-ci renforcent la nécessité de l’inclusion et de la participation des femmes dans les rôles décisionnels, y compris le leadership féminin. L’ascension inspirante d’Ellen Johnson, première femme élue chef d’Etat en Afrique, qui a été la 24ème Présidente du Liberia de 2006 à 2018, a donné de l’espoir aux femmes libériennes. Cependant, les facteurs culturels continuent de constituer d’énormes obstacles à la participation politique des femmes qui sont souvent confrontées à des attitudes discriminatoires.
Mobile4Women: La P4DP et contrer les SGBV
En Mai 2020, la P4DP a reçu une subvention pour un projet de la part du Fonds des Femmes pour la Paix et l’Action Humanitaire (WPHF) et de Spotlight Initiative par l’intermédiaire d’ONU Femmes pour contribuer aux efforts du WPHF en matière de prévention des conflits, de consolidation de la paix et de reprise au Liberia. Dans ce contexte, la P4DP a conçu le projet “Mobile for the Promotion of Justice of Women and Girls’ Rights”, autrement connu sous le nom de Mobile4Women. Ce projet vise à promouvoir la justice pour les femmes au Liberia en menant des recherches sur les femmes qui sont victimes de marginalisation et de SGBV. Mené dans deux endroits - les comtés de Grand Bassa et de Montserrado - le projet défend les droits des femmes et vise à améliorer leur accès à la justice grâce à l’utilisation d’outils audiovisuels. Compte tenu de l’énorme écart entre les genres en matière d’alphabétisation de 62,7% pour les hommes contre 34,09% pour les femmes selon l’UNESCO, il a été décidé d’utiliser l’audiovisuel non seulement pour aider les apprenants à retenir la majeure partie de ce qu’ils et elles entendent, voient et ressentent, mais aussi pour atteindre un public plus large.
Le projet s’est concentré sur trois résultats souhaités: 1) Explorer des programmes de prévention fondés sur des preuves afin de promouvoir des normes sociales, des attributs et des comportements équitables entre les genres ; 2) Garantir des données de qualité, désagrégées et comparables au niveau mondial ; et 3) Renforcer et soutenir les organisations de la société civile qui défendent les droits des femmes.
Les données recueillies dans le cadre du projet Mobile4Women ont révélé que la plupart des obstacles qui empêchent les femmes et les filles d’accéder aux droits sociaux, culturels et religieux dans le Liberia d’après-guerre sont liés à des normes profondément ancrées concernant la structure de la société et la compréhension du rôle et de la définition des hommes et des femmes. Dans certaines régions rurales du Liberia, les femmes accueillent traditionnellement les visiteurs masculins en chantant dans leur langue vernaculaire locale, affirmant et amplifiant la supériorité masculine et la propriété des terres. Ironiquement, ces femmes locales dénoncent et se plaignent souvent des traitements discriminatoires fondés sur le genre, mais continuent de renforcer ces pratiques liées à la misogynie de différentes manières, en façonnant des attitudes et des attentes genrées.
En utilisant les méthodes de recherche-action participative (PAR), le projet Mobile4Women travaille avec les femmes et les filles de plusieurs communautés rurales pour comprendre les implications de ces pratiques culturelles négatives et s’efforce simultanément de changer le paradigme.
Les données recueillies dans le cadre du résultat 2 du projet ont démontré que l’accès à la justice pour les femmes et les filles vulnérables reste encore un énorme défi. Cela est dû au manque d’accès aux ressources financières, au manque d’accès à des avocats, à la peur d’un éventuel retour de bâton et à l’influence compromettante de la communauté et de la famille dans les cas de SGBV.
Dans le cadre du résultat 3, dix organisations de défense des droits des femmes ou dirigées par des femmes ont reçu une formation spécialisée pour soutenir la sensibilisation et le plaidoyer contre les normes sociales, culturelles et religieuses négatives qui contribuent à la marginalisation et à la discrimination des expériences des femmes et des filles. Au cours de la formation au renforcement des capacités des organisations de défense des droits des femmes et des organisations dirigées par des femmes sur la violence liée au genre, les participantes ont décrit la formation comme une plateforme vitale qui leur a donné l’occasion de renforcer leurs capacités sur des questions critiques auparavant considérées comme taboues.
“La formation nous a permis de bien distinguer les caractéristiques de la masculinité et de la féminité qui favorisent la violence liée au genre” - Une participante à la formation sur le renforcement des capacités
Lors des entretiens post-formation, les participantes ont clairement montré la façon dont les hommes sont capables de profiter des femmes dans tous les aspects de la vie, sans que les femmes puissent ou soient autorisées à remettre en question ces normes. En raison de ces normes, de nombreuses femmes ont du mal à participer efficacement aux questions de société. Le manque de compétences ou d’éducation d’un grand nombre de ces femmes entrave considérablement leur accès aux opportunités économiques. Il est essentiel que les implications du conflit sur ces femmes soient clairement comprises.
Les résultats des recherches de la P4PD ont été partagés lors de discussions audiovisuelles afin de sensibiliser les bénéficiaires à la façon dont les perceptions négatives sont perpétuées par les valeurs et les structures patriarcales. En tant que tel, le projet a adopté plusieurs stratégies innovantes pour diffuser et promouvoir le changement. Outre l’utilisation de la méthodologie de la recherche-action participative (PAR) dans la collecte de données et dans les interactions générales, la diffusion des principaux résultats de la recherche se fait par des moyens pratiques et simples à utiliser, notamment un documentaire sur les SGBV, plusieurs articles de journaux dont “P4DP Tracking Cultural Practices Affecting Women”, la diffusion en direct de Spoon TV, Facebook, et la diffusion de quatre vidéo-clubs dirigés par des jeunes sur trois stations de radio. La P4DP a délibérément conclu un contrat avec des vidéos-clubs spécifiques dans les communautés où les GBV sont fréquentes, afin d’impliquer les jeunes dans les questions liées au genre et d’effacer les valeurs de domination dès le plus jeune âge. Le contrat permettrait de projeter les résultats de la recherche cinématographique pendant 5 à 6 minutes avant le début du match de football et d’inciter les participants à discuter des vidéos pendant les pauses et après les matchs.
Progrès réalisés et comment avancer
Grâce à Mobile4Women, deux nouveaux groupes “Change Agent Women Community” se sont formés pour soutenir le travail de la P4DP. En plus, 10 organisations de droits des femmes ou dirigées par des femmes, bénéficiaires du projet, ont été formées à la consolidation de la paix pour mettre en oeuvre des plans d’action communautaires contre les normes culturelles négatives et la transformation non-violente. Certains des groupes de femmes bénéficiaires proposent des formations professionnelles aux femmes et jeunes filles vulnérables, et organisent des discussions sur la santé dans les communautés concernées.
Malgré les nombreux défis auxquels les filles et les femmes sont confrontées dans le Liberia de l’après-guerre civile, elles ont trouvé le courage de participer activement au processus de redressement du pays. Elles ont conduit le changement principalement par le biais de la société civile et de l’économie informelle. En retour, les femmes et les organisations ont reçu un soutien local, national, régional et international pour leurs efforts